Depuis le 1er<\/sup> janvier 2023, les logements dont la consommation \u00e9nerg\u00e9tique est sup\u00e9rieure \u00e0 450 kWh\/m\u00b2 et par an[1]<\/a>\u00a0 ne peuvent plus \u00eatre lou\u00e9s. Les baux en cours se poursuivent, mais les logements concern\u00e9s \u00e9tant d\u00e9sormais consid\u00e9r\u00e9s comme non d\u00e9cents, ils ne peuvent faire l\u2019objet d\u2019un nouveau bail[2]<\/a>. Ces dispositions pourraient \u00eatre de nature \u00e0 bouleverser l\u2019\u00e9quilibre des march\u00e9s de la location r\u00e9sidentielle. En effet les logements class\u00e9s G, F ou E sont nombreux dans le parc locatif, notamment dans le parc priv\u00e9. Selon l\u2019Observatoire national de la r\u00e9novation \u00e9nerg\u00e9tique, il s\u2019agit au total de pr\u00e8s de 4,9 millions de logements, dont 3,4 millions dans le parc locatif priv\u00e9 et 1,5 million dans le parc social. Le nombre de passoires thermiques (classes F et G), concern\u00e9es \u00e0 court ou moyen terme par les mesures de la loi Climat et r\u00e9silience, est estim\u00e9 \u00e0 plus de deux millions d\u2019unit\u00e9s\u00a0: 1,579 million dans le parc priv\u00e9 et 472\u00a0000 dans le parc social, soit respectivement 19,9% et 9,5% de l\u2019effectif de chacun de ces deux segments. Les travaux devront \u00eatre d\u2019autant plus importants, et donc plus on\u00e9reux, que la performance \u00e9nerg\u00e9tique est plus faible. Il ne serait en effet gu\u00e8re utile pour les passoires thermiques (\u00e9tiquettes G et F) de se limiter au minimum permettant d\u2019atteindre la note imm\u00e9diatement sup\u00e9rieure, puisque les logements class\u00e9s F, puis E seront, \u00e0 terme, interdits \u00e0 la location. De plus, il semble admis que l\u2019addition de gestes isol\u00e9s est moins efficace qu\u2019une r\u00e9novation globale[8]<\/a>. Faute d\u2019\u00eatre en mesure d\u2019effectuer les travaux n\u00e9cessaires, des bailleurs pourraient choisir de mettre en vente les logements qu\u2019ils d\u00e9tiennent. Si le ph\u00e9nom\u00e8ne est massif, l\u2019accroissement de l\u2019offre qui en r\u00e9sulterait contribuerait \u00e0 la d\u00e9tente du march\u00e9 immobilier et \u00e0 la baisse des prix, d\u00e9j\u00e0 amorc\u00e9e selon les professionnels de la transaction. Il se pourrait aussi que la mise en vente massive de logements ne pouvant \u00eatre lou\u00e9s qu\u2019au prix de travaux de r\u00e9novation induise une augmentation de la valeur verte, c\u2019est-\u00e0-dire de la d\u00e9cote des passoires thermiques par rapport aux logements plus performants. L\u2019autre cons\u00e9quence serait la diminution de l\u2019offre locative globale et l\u2019augmentation des loyers.<\/p>\n Les cons\u00e9quences que nous venons de d\u00e9crire reposent sur le postulat que les nouvelles dispositions de la loi seront appliqu\u00e9es dans toute leur rigueur. Jean Bosvieux<\/strong> [1]<\/a> Cette consommation de 450 kWh\/m\u00b2 et par an correspond \u00e0 la limite de la classe G avant la r\u00e9forme du diagnostic de performance \u00e9nerg\u00e9tique. Dans l\u2019\u00e9chelle en vigueur depuis le 21 juillet 2021, date de cette r\u00e9forme, le seuil de passage entre les classes F et G est de 420 kWh\/m\u00b2 et par an. C\u2019est donc seulement une partie (la plus \u00e9nergivore) des logements class\u00e9s G qui est d\u00e9sormais interdite \u00e0 la location.<\/p>\n [2]<\/a> D\u00e9cret n\u00b0 2021-19 du 11 janvier 2021 relatif au crit\u00e8re de performance \u00e9nerg\u00e9tique dans la d\u00e9finition du logement d\u00e9cent en France m\u00e9tropolitaine.<\/p>\n [3]<\/a> \u00c0 Paris, des enjeux de r\u00e9novation \u00e9nerg\u00e9tique tr\u00e8s forts pour plus de la moiti\u00e9 des logements, Insee Analyses \u00cele-de-France \u2022 n\u00b0 154 \u2022 Juin 2022<\/p>\n [4]<\/a> ibid.<\/p>\n [5]<\/a> Lib\u00e9ration du 1er<\/sup> janvier 2023.<\/p>\n [6]<\/a> Les Echos du 21 novembre 2022.<\/p>\n [7]<\/a> Les Echos du 30 novembre 2022.<\/p>\n [8]<\/a> C\u2019est notamment l\u2019une des critiques faites au dispositif d\u2019aide MaPrimeR\u00e9nov\u00a0: cf. par exemple le Rapport de la commission sur les co\u00fbts d\u2019abattement, partie 5 – Logement (page 42), France strat\u00e9gie, novembre 2022.<\/p>\n [9]<\/a> 500 maisons r\u00e9nov\u00e9es basse consommation, enseignements op\u00e9rationnels des programmes \u00ab\u00a0je r\u00e9nove BBC\u00a0\u00bb en Alsace, Cerema et EDF, juin 2017.<\/p>\n [10]<\/a> Le Figaro Immobilier<\/a> du 30 septembre 2021.<\/p>\n [11]<\/a> ANIL, https:\/\/www.anil.org\/jurisprudences-logement-decent\/<\/a>.<\/p>\n
\nIl s\u2019agit de la premi\u00e8re \u00e9tape, mise en \u0153uvre par anticipation, de l\u2019application des dispositions concernant la lutte contre les passoires thermiques de la loi Climat et r\u00e9silience, qui ins\u00e8re dans la d\u00e9finition du logement d\u00e9cent des crit\u00e8res minimaux de performance \u00e9nerg\u00e9tique\u00a0:
\n\u00ab Le niveau de performance d’un logement d\u00e9cent est compris, au sens de l’article L. 173-1-1 du code de la construction et de l’habitation :
\n1\u00b0 A compter du 1er janvier 2025, entre la classe A et la classe F ;
\n2\u00b0 A compter du 1er janvier 2028, entre la classe A et la classe E ;
\n3\u00b0 A compter du 1er janvier 2034, entre la classe A et la classe D.\u00a0\u00bb
\nAutrement dit, ne seront plus d\u00e9cents les logements class\u00e9s F \u00e0 partir de 2028 et ceux class\u00e9s E \u00e0 partir de 2034 : il sera donc interdit de les louer.
\nLes d\u00e9tenteurs de logements class\u00e9s G doivent donc effectuer d\u2019urgence des travaux de r\u00e9novation \u00e9nerg\u00e9tique permettant d\u2019am\u00e9liorer la notation de leurs logements s\u2019ils souhaitent continuer \u00e0 les louer. Pour ceux class\u00e9s F ou E, le d\u00e9lai est plus long : il laisse aux propri\u00e9taires le temps de la r\u00e9flexion.<\/p>\nQuelles cons\u00e9quences possibles sur les march\u00e9s immobiliers\u00a0?<\/h3>\n
\nIl faut en outre pr\u00e9ciser que la part des logements peu performants n\u2019est pas la m\u00eame partout. Elle est d\u2019autant plus \u00e9lev\u00e9e que le parc est plus ancien, car la performance \u00e9nerg\u00e9tique est li\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e2ge des constructions. C\u2019est le cas \u00e0 Paris, o\u00f9 la part des logements anciens est particuli\u00e8rement \u00e9lev\u00e9e\u00a0: \u00ab\u00a0En effet, 66 % des logements lou\u00e9s dans le parc priv\u00e9 parisien sont \u00e9tiquet\u00e9s E, F ou G, contre 52 % en petite et grande couronnes et 47 % dans le reste de la France m\u00e9tropolitaine\u00a0\u00bb[3]<\/a>, de sorte que \u00ab\u00a0308 300 m\u00e9nages (soit 443\u00a0200 locataires) du parc priv\u00e9 louant un logement class\u00e9 E, F ou G pourraient, en l\u2019absence de r\u00e9novation \u00e9nerg\u00e9tique, ne plus pouvoir \u00eatre locataires dans les m\u00eames logements\u00a0\u00bb[4]<\/a>.
\nD\u2019ores et d\u00e9j\u00e0, des propos alarmistes sont relay\u00e9s par les m\u00e9dias. La mesure semble d\u00e9j\u00e0 produire un effet n\u00e9gatif sur l\u2019offre locative, si l\u2019on en croit les t\u00e9moignages de professionnels de la location. Ainsi, Lo\u00efc Cantin, pr\u00e9sident de la FNAIM affirme-t-il que \u00ab Selon les enqu\u00eates que nous avons men\u00e9es, plus d’un tiers d’entre eux [les bailleurs] envisage de retirer leur logement du parc locatif fran\u00e7ais \u00bb[5]<\/a>. Selon Fran\u00e7ois Morineau, Directeur g\u00e9n\u00e9ral d\u00e9l\u00e9gu\u00e9 de BNP Paribas Real Estate Conseil Habitation et Hospitality, \u00ab\u00a0depuis le mois de juin, on estime qu’environ 15 \u00e0 20 % des logements ont d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 sortis de la location pour \u00eatre vendus\u00a0\u00bb[6]<\/a>. M\u00eame son de cloche du c\u00f4t\u00e9 du site Bien\u2019ici\u00a0: \u00ab\u00a0La demande de logements \u00e0 louer a en effet augment\u00e9 de 54 % en 2022 alors que, en parall\u00e8le, l’offre – qui baisse depuis plusieurs ann\u00e9es – a diminu\u00e9 de 10 % au vu des annonces diffus\u00e9es\u00a0\u00bb[7]<\/a>. Philippe de Ligniville, directeur g\u00e9n\u00e9ral adjoint de Bien’Ici, n\u2019attribue toutefois pas cette tendance \u00e0 la seule interdiction de louer des logements \u00e9tiquet\u00e9s G, qui selon lui ne fait que renforcer des \u00e9volutions d\u00e9j\u00e0 \u00e0 l\u2019\u0153uvre.
\nPour respecter l\u2019interdiction de louer des logements non d\u00e9cents, les propri\u00e9taires de logements locatifs \u00e9tiquet\u00e9s G, puis F, puis E, auront en effet le choix entre deux solutions : effectuer des travaux de r\u00e9novation \u00e9nerg\u00e9tique ou retirer leur bien de la location.<\/p>\nR\u00e9novation \u00e9nerg\u00e9tique du logement<\/h3>\n
\nIl est difficile, sinon impossible, d\u2019avancer une estimation du co\u00fbt moyen des travaux n\u00e9cessaires qui varie notablement en fonction du type de logement, de son \u00e9tat et de l\u2019ambition de la r\u00e9novation, comme le montrent les exemples suivants\u00a0:
\n– une \u00e9tude publique \u00ab Je r\u00e9nove BBC \u00bb r\u00e9alis\u00e9e en Alsace, portant sur la r\u00e9novation de maisons individuelles, fait \u00e9tat d\u2019un co\u00fbt moyen de 465 \u20ac hors taxes par m\u00e8tre carr\u00e9 habitable. Il s\u2019agit l\u00e0 d\u2019un majorant, car il s\u2019agissait dans les cas \u00e9tudi\u00e9s d\u2019atteindre le label BBC[9]<\/a>;
\n– une autre \u00e9tude, non publi\u00e9e \u00e0 ce jour, r\u00e9alis\u00e9e dans les Hauts-de-France \u00e9value le montant moyen \u00e0 43 500 \u20ac en maison individuelle et \u00e0 16 000 \u20ac pour les logements collectifs ;
\n– Damien Guth, directeur adjoint de l\u2019exploitation et de la maintenance de Cl\u00e9sence, bailleur social qui compte 45.000 logements dans le nord de la France, estime \u00e0 40 000 \u20ac par logement le montant des travaux n\u00e9cessaire pour amener \u00e0 la note D des logements class\u00e9s class\u00e9s \u00abG\u00bb[10]<\/a>.
\nRapport\u00e9s \u00e0 la valeur des logements, ces co\u00fbts ne paraissent pas r\u00e9dhibitoires dans les zones les plus ch\u00e8res, mais ils sont probablement prohibitifs dans celles o\u00f9 la demande est faible et les loyers bas. En tout \u00e9tat de cause, m\u00eame dans les zones tendues le financement peut poser probl\u00e8me car les bailleurs personnes physiques, on le sait, ne sont pas tous ais\u00e9s. A cet obstacle s\u2019ajoute, pour les logements en copropri\u00e9t\u00e9, le probl\u00e8me de la prise de d\u00e9cision collective pour les travaux portant sur les parties communes. Les propri\u00e9taires occupants, n\u2019\u00e9tant pas concern\u00e9s par les mesures relatives \u00e0 la d\u00e9cence d\u00e9coulant de la loi Climat et r\u00e9silience, peuvent faire obstacle \u00e0 de telles d\u00e9cisions. Or les appartements repr\u00e9sentent les deux tiers du parc locatif priv\u00e9 \u00e9tiquet\u00e9 E, F ou G et la plupart d\u2019entre eux appartiennent \u00e0 des copropri\u00e9t\u00e9s. Enfin, les contraintes architecturales ou patrimoniales peuvent interdire des interventions modifiant l\u2019aspect ext\u00e9rieur des b\u00e2timents.
\nLa loi Climat et r\u00e9silience a d\u2019ailleurs pr\u00e9vu des possibilit\u00e9s de d\u00e9rogation aux obligations qu\u2019elle impose. Le bailleur pourra en b\u00e9n\u00e9ficier s\u2019il \u00ab\u00a0d\u00e9montre que, malgr\u00e9 ses diligences en vue de l’examen de r\u00e9solutions tendant \u00e0 la r\u00e9alisation de travaux relevant des parties communes ou d’\u00e9quipements communs et la r\u00e9alisation de travaux dans les parties privatives de son lot adapt\u00e9s aux caract\u00e9ristiques du b\u00e2timent, il n’a pu parvenir \u00e0 ce niveau de performance minimal\u00a0\u00bb ou si\u00a0\u00ab\u00a0le logement est soumis \u00e0 des contraintes architecturales ou patrimoniales qui font obstacle \u00e0 l’atteinte de ce niveau de performance minimal malgr\u00e9 la r\u00e9alisation de travaux compatibles avec ces contraintes\u00a0\u00bb. Il faudra toutefois attendre un d\u00e9cret, et sans doute l\u2019\u00e9tablissement d\u2019une jurisprudence pour juger de l\u2019\u00e9tendue effective des d\u00e9rogations.<\/p>\n.. ou mise en vente<\/h3>\n
.. si l\u2019application de la loi est rigoureuse<\/h3>\n
\nOr le bailleur d\u2019un logement non d\u00e9cent ne peut \u00eatre sanctionn\u00e9 que si le locataire engage une action pour faire valoir ses droits. Ce type d\u2019action est peu fr\u00e9quent. L\u2019Anil note en effet que\u00a0\u00ab\u00a0Les d\u00e9cisions disponibles montrent qu’assez peu d’actions sont introduites par les locataires en raison de la non-d\u00e9cence du logement. Le plus souvent, les locataires tentent de se faire justice eux-m\u00eames en interrompant le paiement des loyers. Or, les jugements leur sont rarement favorables, car les tribunaux s’appuient sur une position tr\u00e8s ferme de la Cour de cassation, qui n’admet l’exception d’inex\u00e9cution que dans des circonstances tr\u00e8s particuli\u00e8res\u00a0\u00bb[11]<\/a>. C\u2019est que le locataire, en engageant une action, prend le risque de devoir quitter son logement sans avoir l\u2019assurance d\u2019en trouver un autre pour un loyer \u00e9quivalent, notamment si ledit logement est localis\u00e9 dans une zone tendue o\u00f9 l\u2019offre, d\u00e9j\u00e0 insuffisante, pourrait \u00eatre r\u00e9duite.
\nUn autre exemple de la raret\u00e9 des actions est fourni par les dispositifs d\u2019encadrement des loyers\u00a0: dans les p\u00e9rim\u00e8tres concern\u00e9s, le nombre de recours aux commissions de conciliation est tr\u00e8s faible par rapport au nombre de d\u00e9passements du loyer de r\u00e9f\u00e9rence major\u00e9.
\nL\u2019obligation de mentionner dans les annonces la classe \u00e9nerg\u00e9tique du logement devrait, en th\u00e9orie, rendre impossible la location de passoires thermiques, mais selon une enqu\u00eate de la CLCV[12]<\/a>, elle n\u2019est respect\u00e9e que dans 7 cas sur 10 environ. Les sanctions sont rares, et inexistantes lorsque l\u2019annonceur est un particulier. Le risque encouru par un bailleur mettant en location une passoire \u00e9nerg\u00e9tique semble donc limit\u00e9, et il est probable qu\u2019au moins dans un premier temps, une part importante des logements concern\u00e9s continuera \u00e0 \u00eatre lou\u00e9e sans avoir subi de travaux. Compte tenu des cons\u00e9quences possibles sur les march\u00e9s de l\u2019application stricte de la loi, ce ne serait sans doute pas une catastrophe.<\/p>\n
\nJanvier 2023<\/p>\n