<\/p>\n
Depuis le printemps 2020, l\u2019\u00e9conomie europ\u00e9enne se trouve ballot\u00e9e par des crises successives (sortie du premier confinement, crise de l\u2019\u00e9nergie, puis guerre en Ukraine). Pour le secteur du b\u00e2timent, cela se traduit par une progression spectaculaire des co\u00fbts, 1,7 fois plus rapide que l\u2019inflation g\u00e9n\u00e9rale (mod\u00e9r\u00e9e toutefois par la relative stabilit\u00e9, probablement peu durable, du co\u00fbt horaire du travail), des d\u00e9lais d\u2019approvisionnement au mieux allong\u00e9s, et une r\u00e9elle absence de visibilit\u00e9 qui complique la signature de march\u00e9s.<\/p>\n
Depuis 2020, les entreprises de b\u00e2timent ont subi une succession de trois chocs sur les prix des mat\u00e9riaux qu\u2019elles mettent en \u0153uvre. Graphique 1\u00a0: \u00e9volution du cours des m\u00e9taux<\/p>\n Au-del\u00e0 des mati\u00e8res premi\u00e8res \u00e0 cours mondiaux, une large gamme de produits et mat\u00e9riaux mis en \u0153uvre par le b\u00e2timent se trouve pris par la tourmente \u00e0 compter de la fin 2020 (cf. graphique 2)\u00a0: produits en acier, cuivre, aluminium, zinc, \u00e9tain, mais aussi PVC, isolants en plastique alv\u00e9olaire, produits en bois\u2026 N\u2019\u00e9chappent \u00e0 cette premi\u00e8re crise que les produits fabriqu\u00e9s \u00e0 partir d\u2019intrants locaux pour une consommation locale (ciment et d\u00e9riv\u00e9s, tuiles et briques, \u2026)<\/p>\n Graphique 2\u00a0: \u00e9volution des prix de quelques produits mis en \u0153uvre dans le b\u00e2timent<\/p>\n S\u2019ensuit une accalmie durant l\u2019\u00e9t\u00e9 et le d\u00e9but de l\u2019automne 2021. Puis, les menaces qui montent \u00e0 l\u2019est de l\u2019Europe et la tenue des jeux olympiques d\u2019hiver 2022 \u00e0 P\u00e9kin -pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e d\u2019une intense lutte contre la pollution atmosph\u00e9rique en Chine- provoquent un second choc, de nature \u00e9nerg\u00e9tique cette fois (voir graphique 3). Les prix du gaz et de l\u2019\u00e9lectricit\u00e9 progressent tr\u00e8s rapidement (entre ao\u00fbt 2021 et janvier 2022, respectivement +171 % et +90 %), le p\u00e9trole \u2013moins polluant que le charbon\u2013 suit d\u2019un peu plus loin (+27 %).<\/p>\n Graphique 3\u00a0: \u00e9volution des prix de march\u00e9 de l\u2019\u00e9nergie en Europe (moyenne mensuelle, en \u20ac)<\/p>\n Or, la production de nombreux mat\u00e9riaux passe par des s\u00e9quences de fonte, de chauffe, voire de refroidissement. Sans m\u00eame \u00e9voquer le co\u00fbt de leur transport \u2013notamment lorsqu\u2019il s\u2019agit de pond\u00e9reux\u2013, ils subissent donc de plein fouet l\u2019inflation \u00e9nerg\u00e9tique (cf. graphique 2). On note, de plus, que la gamme des produits concern\u00e9s s\u2019\u00e9largit par rapport \u00e0 la premi\u00e8re crise. De fait, le ciment, la tuile et la brique, la c\u00e9ramique, le verre\u2026 ne sont plus \u00e9pargn\u00e9s, car ils rel\u00e8vent de processus de production intensifs en \u00e9nergie. Graphique 4\u00a0: \u00e9volution des prix de march\u00e9 de l\u2019\u00e9nergie en Europe (moyenne journali\u00e8re, en \u20ac)<\/p>\n En cons\u00e9quence, entre janvier et mai 2022 (voir graphique 2), le prix des aciers pour le b\u00e2timent affiche 38\u00a0% d\u2019augmentation, celui des tuiles 16\u00a0%, celui des demi-produits en aluminium 14\u00a0%, celui des profil\u00e9s en plastique 12\u00a0%, celui des produits en c\u00e9ramique 11\u00a0%, celui des demi-produits en cuivre ou des produits verriers 8\u00a0%, celui des produits en PVC 6\u00a0%, etc. Ces chocs ont eu des effets de trois natures distinctes mais cumulatives pour le b\u00e2timent. Pour le plus globalisant des index b\u00e2timent, \u00e0 savoir le BT01 (travaux de b\u00e2timent tous corps d\u2019\u00e9tat), la progression des prix associ\u00e9e aux postes \u00ab\u00a0mat\u00e9riaux\u00a0\u00bb et \u00ab\u00a0\u00e9nergie\u00a0\u00bb est nette\u00a0: elle s\u2019affiche respectivement \u00e0 11,3\u00a0% et 20,7\u00a0% en 2021, puis encore 18,6\u00a0% et 35,2\u00a0% en glissement annuel en mai 2022 (voir tableau 1).<\/p>\n Tableau 1\u00a0: d\u00e9composition de l\u2019\u00e9volution du BT01 selon ses grands postes Toutefois, compte tenu du faible poids de l\u2019\u00e9nergie consomm\u00e9e en direct (carburants, chauffage des locaux, \u2026) dans la structure de co\u00fbt moyenne du b\u00e2timent (1,0\u00a0%), l\u2019envol\u00e9e des prix associ\u00e9s reste d\u2019un impact contenu (0,2\u00a0%, puis 0,4\u00a0% sur les m\u00eames p\u00e9riodes que pr\u00e9c\u00e9demment). Le second effet tient aux difficult\u00e9s, voire aux ruptures d\u2019approvisionnement plus ou moins transitoires. Certains mat\u00e9riaux se sont ainsi retrouv\u00e9s \u00ab\u00a0commercialis\u00e9s\u00a0\u00bb sans prix, ni d\u00e9lais (ce fut le cas en 2021 de produits acier aluminium, bois notamment). Certains devis s\u2019\u00e9cartent d\u2019ailleurs totalement du droit des contrats, pr\u00e9voyant une livraison \u00ab\u00a0d\u00e8s que possible\u00a0\u00bb pour un prix \u00ab\u00a0d\u00e9fini \u00e0 date de livraison\u00a0\u00bb\u00a0! D\u2019autres mat\u00e9riaux ou composants affichent encore aujourd\u2019hui des d\u00e9lais de livraison tr\u00e8s longs, s\u2019ils peuvent \u00eatre livr\u00e9s (tuiles, c\u00e9ramiques, gros onduleurs ou transformateurs\u2026). Sans entrer dans plus de d\u00e9tail, l\u2019enqu\u00eate de l\u2019Insee dans l\u2019industrie du b\u00e2timent (structures de plus de dix salari\u00e9s) illustre clairement le caract\u00e8re exceptionnel de cette situation, avec environ 17\u00a0% d\u2019entreprises qui se d\u00e9clarent contraintes dans leur production par des difficult\u00e9s d\u2019approvisionnement, plus haut niveau constat\u00e9 depuis que cette question est pos\u00e9e, soit 1998 (cf. graphique 5).<\/p>\n Graphique 5\u00a0: part des entreprises de b\u00e2timent de plus de dix salari\u00e9s d\u00e9clarant ne pouvoir produire plus du fait de probl\u00e8mes d\u2019approvisionnement (en %)<\/p>\n Or, jusqu\u2019\u00e0 r\u00e9cemment, la plupart des march\u00e9s du b\u00e2timent se signaient \u00e0 prix fermes et non r\u00e9visables et pr\u00e9voyaient la sanction des retards d\u2019ex\u00e9cution par application de p\u00e9nalit\u00e9s[3]<\/a>. Pour les entreprises de b\u00e2timent, ces contrats se soldent par un double surco\u00fbt\u00a0: celui li\u00e9 \u00e0 l\u2019envol\u00e9e \u00ab\u00a0non r\u00e9percutable\u00a0\u00bb \u2013sauf n\u00e9gociation fructueuse\u2013 des prix des mat\u00e9riaux et \u00e9quipements mis en \u0153uvre, plus celui caus\u00e9 par les p\u00e9nalit\u00e9s de retard \u00e0 la livraison du chantier. Ce double risque s\u2019av\u00e8re m\u00eame syst\u00e9mique dans certains m\u00e9tiers, puisqu\u2019il affecte l\u2019ensemble de leurs chantiers. Lo\u00efc Chapeaux<\/strong> Annexe\u00a0: \u00e9volution des index BT \u00e0 fin mai 2022<\/u><\/strong><\/p>\n [1]<\/a>\u00a0\u00a0 Il faut ajouter \u00e0 cela d\u2019autres facteurs plus habituels, mais qui p\u00e8sent lourd dans ce contexte\u00a0: blizzard au Canada et aux USA, qui emp\u00eache l\u2019approvisionnement local en bois par exemple, incendies et casses divers dans certaines usines de production, r\u00e9vision lourdes et concomitantes de chaines de production, parce que certaines ont d\u00fb \u00eatre report\u00e9es pendant la phase aig\u00fce de la Covid-19\u2026<\/p>\n
\nLe premier fait suite au red\u00e9marrage assez rapide des chantiers apr\u00e8s le premier confinement strict du printemps 2020 en France, en Chine et dans d\u2019autres pays, apr\u00e8s la premi\u00e8re phase d\u2019h\u00e9b\u00e9tude cr\u00e9e par le tsunami de la crise sanitaire ailleurs. Ce rebond de la demande s\u2019est heurt\u00e9 \u00e0 une offre peu \u00e9lastique parce que le red\u00e9marrage des lignes de production industrielles prend du temps, parfois beaucoup de temps lorsqu\u2019il faut relancer des fours, d\u2019une part, parce que la logistique peinait \u00e0 suivre (bateaux et containers mal positionn\u00e9s), d\u2019autre part[1]<\/a>.
\nL\u2019impact de ces goulets d\u2019\u00e9tranglement se lit tr\u00e8s clairement dans l\u2019\u00e9volution des cours des m\u00e9taux, qui commencent \u00e0 progresser d\u00e8s l\u2019\u00e9t\u00e9 2020 et acc\u00e9l\u00e8rent franchement au 1er<\/sup> semestre 2021 (voir graphique 1). Ainsi, le minerai de fer (le plus volatil sur la p\u00e9riode), qui s\u2019inscrivait dans une s\u00e9quence de hausse mod\u00e9r\u00e9e du printemps 2018 au printemps 2020, voit son cours progresser de 35% entre mars et novembre 2020, puis s\u2019envoler de 72\u00a0% entre novembre 2020 et juillet 2021.<\/p>\n<\/a>
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\nLe troisi\u00e8me choc na\u00eet du d\u00e9clenchement de la guerre en Ukraine, le 24 f\u00e9vrier 2022. Il est venu renforcer encore la crise \u00e9nerg\u00e9tique (voir graphique 4) et ses cons\u00e9quences sur les prix des mat\u00e9riaux, mais il a aussi pes\u00e9 plus directement dans certains cas, par exemple au travers d\u2019une concurrence accrue sur certains des produits de base ne sortant plus d\u2019Ukraine ou de Russie (billettes et brames d\u2019acier, demi-produits aluminium).<\/p>\n<\/a>
\nBien \u00e9videmment, pour certains de ces mat\u00e9riaux, singuli\u00e8rement ceux qui rel\u00e8vent de march\u00e9s mondiaux ou europ\u00e9ens, parfois tr\u00e8s financiaris\u00e9s, ces chocs comprennent sans doute une part de sp\u00e9culation. Celle-ci ne constitue cependant que l\u2019\u00e9cume de mouvements de fond.<\/p>\nUne envol\u00e9e des co\u00fbts subie par les entreprises<\/strong><\/h3>\n
\nLe premier correspond \u00e0 un pur effet prix. Au-del\u00e0 de la litanie d\u2019annonces de hausses adress\u00e9es \u00e0 rythme r\u00e9gulier aux entreprises, globalement confirm\u00e9es dans les commandes pass\u00e9es, on en trouve une assez bonne synth\u00e8se dans l\u2019\u00e9volution des postes \u00ab\u00a0mat\u00e9riaux\u00a0\u00bb et \u00ab\u00a0\u00e9nergie\u00a0\u00bb des index BT calcul\u00e9s par l\u2019Insee (cf. encadr\u00e9).<\/p>\n
\nLes index BT, calcul\u00e9s par l\u2019Insee depuis f\u00e9vrier 2014, visent \u00e0 refl\u00e9ter au mieux l\u2019\u00e9volution les co\u00fbts des entreprises, afin d\u2019\u00e9viter des distorsions lors de l\u2019application des formules de variation de prix des march\u00e9s s\u2019appliquant sur des montants parfois tr\u00e8s importants.Le calcul de tous les index BT (37 au total, adapt\u00e9s diff\u00e9rentes aux activit\u00e9s exerc\u00e9es par les entreprises, voir annexe) repose sur l\u2019agr\u00e9gation de six grands postes : salaires et charges, mat\u00e9riaux, mat\u00e9riel, \u00e9nergie, transport, frais divers. Leur poids relatif, ainsi que la composition du poste \u00ab mat\u00e9riaux \u00bb sont propres \u00e0 chaque index.
\nLeur publication intervient 45 jours apr\u00e8s la fin du mois depuis la mi-mai 2022 (80 jours auparavant), d\u00e9calage principalement d\u00fb \u00e0 :
\n– la disponibilit\u00e9 des indices \u00ab salaires et charges \u00bb ;
\n– la fiabilit\u00e9 des indices de prix des mat\u00e9riaux, parfois m\u00eame leur disponibilit\u00e9. De fait, pour \u00e9viter les r\u00e9visions de r\u00e9visions de march\u00e9, les niveaux publi\u00e9s des index BT sont d\u00e9finitifs, a contrario<\/em> de ceux des indices de prix des mat\u00e9riaux. Il importe donc d\u2019attendre la fiabilisation de ces derniers avant de publier les premiers.
\n[\/typography]<\/div>\n
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\nIl n\u2019en va pas de m\u00eame pour les mat\u00e9riaux qui p\u00e8sent lourd dans tous les index, y compris le BT01 (36,5%), le plus souvent le deuxi\u00e8me poste apr\u00e8s le co\u00fbt du travail d\u2019un secteur intensif en main d\u2019\u0153uvre (44,9\u00a0% pour le BT01). De ce fait, ils contribuent \u00e0 hauteur de 4,1\u00a0% \u00e0 la hausse globale des co\u00fbts de 5,4\u00a0% en 2021, puis de 6,8\u00a0% sur un total de 8,4\u00a0% en glissement annuel sur mai 2022.
\nPour l\u2019\u00e9crire autrement, l\u2019envol\u00e9e des prix des mat\u00e9riaux et, plus encore, de l\u2019\u00e9nergie depuis la fin 2020 ne s\u2019est traduite par une hausse du co\u00fbt global des travaux de b\u00e2timent (au sens du BT01) \u00ab\u00a0limit\u00e9e \u00e0\u00a0\u00bb 11,3\u00a0% (1,7 fois le rythme de l\u2019inflation g\u00e9n\u00e9rale) que parce que le co\u00fbt horaire moyen du travail, autre poste important, connaissait une quasi-stabilit\u00e9 sur la m\u00eame p\u00e9riode (cf. tableau 1).
\nEt encore, ce constat m\u00e9riterait d\u2019\u00eatre nuanc\u00e9 selon les natures d\u2019interventions (voir annexe). Pour ne citer que les exemples les plus frappants[2]<\/a>, et toujours malgr\u00e9 la mod\u00e9ration de la hausse du co\u00fbt du travail, depuis la fin 2020\u00a0:<\/p>\n\n
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\nEnfin, le denier effet des chocs sur les mat\u00e9riaux se r\u00e9sume en une perte de visibilit\u00e9. Nul ne pouvait r\u00e9ellement pr\u00e9voir la crise sanitaire, puis le d\u00e9clenchement de la guerre en Ukraine. Nul ne saurait r\u00e9ellement dire quel sera dans trois ou six mois le prix et la disponibilit\u00e9 de tel ou tel mat\u00e9riaux, ne serait-ce que parce que personne ne sait quel sera le volume des livraisons de gaz et autres \u00e9nergies de la Russie \u00e0 l\u2019Europe dans quelques semaines. Or, cette volatilit\u00e9 ne permet gu\u00e8re de signer sereinement des contrats pour r\u00e9alisation plusieurs mois apr\u00e8s, comme souvent dans le b\u00e2timent. D\u2019autant que les salaires subiront prochainement les effets (\u00e0 la hausse) d\u2019une inflation qui s\u2019installe durablement dans le paysage.
\nC\u2019est pour cette raison que, comme entre le milieu des d\u00e9cennies 1970 et 1980, phase de forte inflation, une indexation raisonn\u00e9e des prix des march\u00e9s para\u00eet in\u00e9vitable, sous r\u00e9serve de parvenir \u00e0 la financer en bout de cha\u00eene. \u00c0 d\u00e9faut, chacun des maillons de cette cha\u00eene se trouvera contraint de prendre des marges de pr\u00e9caution, ce qui entra\u00eenerait in\u00e9vitablement une contraction de l\u2019activit\u00e9 du b\u00e2timent, en construction neuve comme en am\u00e9lioration-entretien, y compris r\u00e9novation \u00e9nerg\u00e9tique.<\/p>\n
\nJuillet 2022<\/p>\n
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