<\/p>\n
Alain Trannoy et Etienne Wasmer ont r\u00e9cemment publi\u00e9 un ouvrage intitul\u00e9 \u00ab\u00a0Le grand retour de la terre dans les patrimoines\u00a0: et pourquoi c\u2019est une bonne nouvelle\u00a0!<\/em>\u00a0\u00bb (Odile Jacob, janvier 2022). Ils pr\u00e9conisent d\u2019accro\u00eetre la taxation de la terre, cet imp\u00f4t se substituant \u00e0 l\u2019ensemble de ceux frappant les biens immobiliers. Nous en publions ci-apr\u00e8s des bonnes feuilles, suivies par un entretien avec Alain Trannoy.<\/p>\n <\/a><\/p>\n Il nous semble qu’il faut regarder les faits. Que nous disent-ils? Outre la relative stabilit\u00e9 des \u00e9carts de revenus apr\u00e8s redistribution \u00e9voqu\u00e9s pr\u00e9c\u00e9demment, force est de constater que nous pla\u00e7ons une part disproportionn\u00e9e de notre richesse dans l’immobilier et le foncier, que ce soit \u00e0 destination r\u00e9sidentielle o\u00f9 professionnelle. Cette richesse atteint un volume in\u00e9dit, correspondant d\u00e9sormais \u00e0 6 ann\u00e9es du revenu national produit par toute la population, alors qu’elle en repr\u00e9sentait \u00e0 peine une ann\u00e9e dans la France d’apr\u00e8s-guerre. Ne manions-nous pas le paradoxe en affirmant que c’est une bonne nouvelle pour l’\u00e9conomie et pour la soci\u00e9t\u00e9 fran\u00e7aise dans son ensemble\u00a0? Non, car un tel montant indique que les Fran\u00e7ais ne sont pas d\u00e9fiants envers l’avenir dans leur pays : il reste bien g\u00e9r\u00e9, quoiqu’on en dise, comme en t\u00e9moigne le fait que les \u00e9trangers ont envie de vivre en France. La richesse fonci\u00e8re et sa concentration sont plut\u00f4t une aubaine, car cette richesse refl\u00e8te la valeur de vivre en France et, bien utilis\u00e9e, elle permettrait de renforcer le dynamisme \u00e9conomique du pays. *\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0\u00a0 * Politique du logement<\/em><\/strong> – Quelles pourraient \u00eatre les cons\u00e9quences de la r\u00e9forme que vous pr\u00e9conisez sur l\u2019\u00e9volution des prix des terrains \u00e0 b\u00e2tir\u00a0? Et, subs\u00e9quemment, sur le march\u00e9 des logements et des locaux d\u2019activit\u00e9\u00a0? Politique du logement – <\/em><\/strong>La taxation de la terre que vous pr\u00e9conisez aurait-elle vocation \u00e0 se substituer \u00e0 l\u2019ensemble des imp\u00f4ts sur l\u2019immobilier, y compris les droits de succession\u00a0? Politique du logement<\/em><\/strong> – Une taxe \u00e9quitable suppose de disposer d\u2019une base taxable fiable. Or on sait les difficult\u00e9s de l\u2019administration fiscale pour d\u00e9terminer, et surtout tenir \u00e0 jour les valeurs locatives sur lesquelles est assise la taxe fonci\u00e8re (TFPB). Quelle m\u00e9thode d\u2019\u00e9valuation sugg\u00e9rez-vous\u00a0? Politique du logement<\/em><\/strong> \u2013 La taxe fonci\u00e8re et les droits de mutation repr\u00e9sentent une part importante des ressources des collectivit\u00e9s locales. Les remplacer par une taxe nationale suppose de leur substituer une dotation dont il faudra d\u00e9finir les r\u00e8gles de r\u00e9partition. Est-ce juridiquement envisageable\u00a0? Et quelles pourraient en \u00eatre les cons\u00e9quences pour les collectivit\u00e9s\u00a0? Politique du logement<\/em><\/strong> – La question de la propri\u00e9t\u00e9 fonci\u00e8re, individuelle ou collective, suscite depuis tr\u00e8s longtemps des controverses. Des \u00e9conomistes, pas tous r\u00e9volutionnaires, ont propos\u00e9 des syst\u00e8mes dans lesquels l\u2019Etat, propri\u00e9taire de la terre, la loue aux utilisateurs. Quels sont leurs arguments\u00a0? La taxation ne peut-elle pas, dans une certaine mesure, s\u2019apparenter \u00e0 la location\u00a0? Propos recueillis par Jean Bosvieux et Jean Cavailh\u00e8s [1]<\/a> Note de la r\u00e9daction\u00a0: Bono, P.-H. & Trannoy, A. (2019). The Impact of the \u2018Scellier\u2019 Income Tax Relief on Building Land Prices in France.\u00a0<\/em>Economie et Statistique \/ Economics and Statistics<\/em>, 507-508, 91\u2013114. https:\/\/doi.org\/10.24187\/ecostat.2019.507d.1976<\/p>\n [2]<\/a> Note de la r\u00e9daction\u00a0: cf. Alain Trannoy et Etienne Wasmer, op. cit. pp.\u00a0 205-209.<\/p>\n [3]<\/a> Note de la r\u00e9daction\u00a0: le co\u00fbt de remplacement du b\u00e2ti est difficile \u00e0 estimer dans certains cas\u00a0: immeuble Haussmannien de la rue de Rivoli \u00e0 Paris, etc.<\/p>\n [4]<\/a> Pour un exemple, Pierre-Philippe Combes & Gilles Duranton & Laurent Gobillon, 2021. \u00ab\u00a0The Production Function for Housing: Evidence from France<\/a>,\u00a0\u00bb\u00a0Journal of Political Economy<\/a>, University of Chicago Press, vol. 129(10), pages 2766-2816.<\/p>\n <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Dans un r\u00e9cent ouvrage, \u00ab\u00a0Le grand retour de la terre dans les patrimoines\u00a0: et pourquoi c\u2019est une bonne nouvelle\u00a0!\u00a0\u00bb , Alain Trannoy et Etienne Wasmer pr\u00e9conisent d\u2019accro\u00eetre la taxation de la terre, cet imp\u00f4t se substituant \u00e0 l\u2019ensemble de ceux frappant les biens immobiliers.<\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":[],"categories":[21],"tags":[34,36],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/logement.web-pme.fr\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/10805"}],"collection":[{"href":"https:\/\/logement.web-pme.fr\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/logement.web-pme.fr\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/logement.web-pme.fr\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/logement.web-pme.fr\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=10805"}],"version-history":[{"count":16,"href":"https:\/\/logement.web-pme.fr\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/10805\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":10823,"href":"https:\/\/logement.web-pme.fr\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/10805\/revisions\/10823"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/logement.web-pme.fr\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=10805"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/logement.web-pme.fr\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=10805"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/logement.web-pme.fr\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=10805"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}Bonnes feuilles extraites des pages 13 \u00e0 16 du livre d\u2019Alain Trannoy et Etienne Wasmer : \u00ab Le grand retour de la terre dans les patrimoines : et pourquoi c\u2019est une bonne nouvelle ! \u00bb (Odile Jacob, janvier 2022, ISBN 978-2-4150-0099-8).<\/h3>\n
\nEn effet, on redistribue d’autant mieux que la richesse est abondante. Une richesse repr\u00e9sente toujours une assurance contre les temps difficiles, mais, au-del\u00e0, une partie de cette richesse immobili\u00e8re \u00e0 la particularit\u00e9 de pouvoir \u00eatre tax\u00e9e sans perte d’efficacit\u00e9 \u00e9conomique. Il nous semble que, dans un pays \u00e0 la croissance an\u00e9mi\u00e9e, et en tout cas inf\u00e9rieure \u00e0 celle de ses voisins du Nord depuis une vingtaine d’ann\u00e9es, l’urgence est de trouver un moyen pour all\u00e9ger la fiscalit\u00e9 sur les facteurs productifs, et notamment les salaires et les investissements, et de mobiliser la part de la richesse qui a \u00e9t\u00e9 la plus dynamique. Or, dans la richesse immobili\u00e8re et fonci\u00e8re, la seule part du foncier –\u00a0les terrains \u00e0 l’exclusion des b\u00e2tis et des infrastructures de toute nature\u00a0– repr\u00e9sente encore un montant consid\u00e9rable, 3 ann\u00e9es de revenus national. C’est elle qui constitue la partie la plus dynamique de la richesse immobili\u00e8re, voir de la richesse tout court depuis une trentaine d’ann\u00e9es.
\nLe propos de cet ouvrage est de remettre au centre du d\u00e9bat public le minimum d’\u00e9conomie politique qu’implique la notion d’efficacit\u00e9 \u00e9conomique afin de poser les bases d’un nouveau contrat social. Expliquons-nous. L’efficacit\u00e9 \u00e9conomique est au c\u0153ur de la r\u00e9flexion \u00e9conomique depuis les origines de la discipline. Elle ne vise pas \u00e0 opposer les diff\u00e9rents constituants de la soci\u00e9t\u00e9 sur le partage du g\u00e2teau. Elle tente d’abord de comprendre ce qui fait augmenter la taille du g\u00e2teau. Elle pense le jeu social comme \u00e9tant \u00e0 somme positive, et non pas \u00e0 somme nulle. Or, depuis que l’\u00e9conomie politique s’est constitu\u00e9e comme discipline, un tr\u00e8s large accord, pour ne pas dire l’unanimit\u00e9, s’est manifest\u00e9 sur le fait que l\u00e0 rente fonci\u00e8re repr\u00e9sentait une base fiscale en quelque sorte id\u00e9ale. Elle implique tr\u00e8s peu de pertes \u00e9conomiques si on la compare \u00e0 des bases fiscales alternatives comme le capital productif (les machines, la propri\u00e9t\u00e9 intellectuelle et les marques) ou le travail. Tous les \u00e9conomistes le savent, mais bien peu trouvent utile de le rappeler, tellement cela leur semble couler de source. Pourtant cela ne va pas de soi pour le profane, et cette piq\u00fbre de rappel peut \u00eatre utile en ce d\u00e9but du XXIe<\/sup> si\u00e8cle.
\nSi le doute sur la soutenabilit\u00e9 des hautes valeurs fonci\u00e8res pouvait encore \u00eatre permis au d\u00e9but des ann\u00e9es 2010, avec l’espoir d’un d\u00e9gonflement de ce qui pouvait appara\u00eetre comme une bulle immobili\u00e8re, il ne l’est plus dix ans plus tard. Le capital au XXIe<\/sup> si\u00e8cle<\/em> de Thomas Piketty sugg\u00e9rait une hausse de la richesse exponentielle, mais cette hausse s’est av\u00e9r\u00e9e co\u00efncider avec le retour triomphant de la richesse immobili\u00e8re. Tous les heureux propri\u00e9taires d’un appartement en centre ville acquis dans les ann\u00e9es 1990 savent qu’ils ont doubl\u00e9 ou tripl\u00e9 la valeur de leur bien sans effort. C’est le cas en France, au Royaume-Uni et en Suisse notamment, dans une moindre mesure aux \u00c9tats-Unis et, d’une mani\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale, dans les pays neufs.
\nCette hausse allait elle \u00eatre p\u00e9renne? Certains en doutaient. Par exemple, Jacques Friggit, ing\u00e9nieur g\u00e9n\u00e9ral du corps des ponts et chauss\u00e9es, avait consacr\u00e9 cette m\u00eame d\u00e9cennie \u00e0 pointer du doigt l’apparente anomalie \u00e0 l’\u00e9chelle des si\u00e8cles de la valeur trop \u00e9lev\u00e9e des prix immobiliers, qui aurait d\u00fb conduire \u00e0 terme \u00e0 un retour attendu \u00e0 la normale. Mais l’\u00e9volution des prix immobiliers de ces 30 derni\u00e8res ann\u00e9es ne s’est pas invers\u00e9e, bien au contraire, et elle ne peut plus \u00eatre consid\u00e9r\u00e9e comme une anomalie. Un changement de r\u00e9gime s’est produit, et le message des classiques d’Adam Smith et de David Ricardo, voire des physiocrates, redevient d\u2019actualit\u00e9 sur la taxation de la rente fonci\u00e8re. \u00c0 une r\u00e9serve pr\u00e8s\u00a0: il ne s’agit plus de la terre agricole comme avant la r\u00e9volution industrielle mais de la terre urbaine \u00e0 l’\u00e8re de la r\u00e9volution des services concentr\u00e9s dans les villes.
\nDans cet ouvrage, plut\u00f4t que de tout voir \u00e0 l’aune de la redistribution, et plut\u00f4t que de consid\u00e9rer la fiscalit\u00e9 du capital des entreprises et celle du travail comme les seules ressources possibles pour financer notre mod\u00e8le social, nous allons montrer qu’on peut, au contraire, all\u00e9ger ces pr\u00e9l\u00e8vements sur les efforts et la production, en taxant la terre, qui repr\u00e9sente en France 7\u00a0000 milliards de euros de richesse, en augmentation tr\u00e8s rapide depuis des d\u00e9cennies. Nous examinerons comment en faire un levier efficace –\u00a0car, contrairement aux usines et aux travailleurs qualifi\u00e9s, la terre ne franchit pas les fronti\u00e8res. Cette taxe sur la terre aurait vocation \u00e0 remplacer toutes les taxes existantes sur l’immobilier et repr\u00e9senterait d\u00e9j\u00e0 du point de vue du fonctionnement du march\u00e9 du logement un progr\u00e8s consid\u00e9rable par rapport \u00e0 l’existant. La taxation de la terre ne d\u00e9courage pas les comportements d\u2019am\u00e9nagement, de mise en valeur des biens ou de r\u00e9novation, contrairement \u00e0 la taxe fonci\u00e8re actuelle. Celle-ci est bien mal nomm\u00e9e d’ailleurs, car elle taxe le b\u00e2ti \u00e9galement et fait donc payer plus ceux qui am\u00e9liorent leurs biens.
\nLes masses en jeu sont tellement gigantesques qu\u2019un taux r\u00e9duit d\u00e9gagerait des sommes importantes pour diminuer fortement les diff\u00e9rents imp\u00f4ts grevant l’activit\u00e9 \u00e9conomique, pour augmenter les salaires tout en soutenant l’accumulation du capital productif. Pour ne rien g\u00e2cher, taxer la terre a aussi des vertus en mati\u00e8re de limitation de l’\u00e9talement urbain, en encourageant la sobri\u00e9t\u00e9 fonci\u00e8re. Enfin, compte tenu de l’endettement public massif auquel nous sommes collectivement confront\u00e9s, en cas de remont\u00e9e abrupte des taux, nous avons avec cette manne immobili\u00e8re les ressources pour rassurer les march\u00e9s financiers qui pourraient craindre le d\u00e9faut de paiement de l’\u00e9tat. \u00c0 tout point de vue, cette richesse est une source de bonne nouvelle, \u00e0 condition d’en savoir tirer profit.<\/p>\n
\n*<\/p>\nEntretien avec Alain Trannoy<\/strong><\/h3>\n
\n<\/em>Alain Trannoy
\n<\/strong>La r\u00e9ponse d\u00e9coule de l\u2019analyse de l\u2019incidence sur les valeurs fonci\u00e8res du syst\u00e8me actuel d\u2019imposition de l\u2019immobilier. Rappelons qu\u2019en France la fiscalit\u00e9 porte sur la d\u00e9tention (taxe fonci\u00e8re), les transmissions \u00e0 titre on\u00e9reux (DMTO) et gratuit (droits de succession), les revenus de la location (imp\u00f4t sur le revenu ou BIC), auxquels il faut ajouter l\u2019imp\u00f4t sur la fortune immobili\u00e8re (IFI) et la taxation des plus-values immobili\u00e8res. Au total, le produit annuel de ces diff\u00e9rents imp\u00f4ts repr\u00e9sente environ 60 milliards d\u2019euros.
\nL\u2019impact de la r\u00e9forme d\u00e9pend de l\u2019option choisie parmi les deux taux d\u2019imposition de la terre que nous proposons\u00a0: 1% et 2%.
\nDans l\u2019hypoth\u00e8se d\u2019une taxation \u00e0 1%, le poids de l\u2019imp\u00f4t sur la terre serait du m\u00eame ordre que celui de la fiscalit\u00e9 actuellement en vigueur\u00a0: au niveau agr\u00e9g\u00e9, il n\u2019y aurait donc probablement pas d\u2019incidence sensible sur les valeurs fonci\u00e8res.
\nDans l\u2019hypoth\u00e8se d\u2019une taxation de la terre au taux de 2%, il faudrait en revanche s\u2019attendre \u00e0 une baisse des valeurs fonci\u00e8res. En effet, l\u2019augmentation de la pression fiscale induirait une baisse des rendements apr\u00e8s imp\u00f4ts des terres, ce qui devrait conduire les d\u00e9tenteurs des biens les moins rentables (rendement locatif plus gains en capital) \u00e0 s\u2019interroger sur l\u2019int\u00e9r\u00eat qu\u2019ils auraient \u00e0 les conserver. Une part d\u2019entre eux chercherait \u00e0 s\u2019en dessaisir, d\u2019o\u00f9 un afflux d\u2019offre et une baisse des prix, donc des valeurs fonci\u00e8res. Les prix devraient s\u2019ajuster de fa\u00e7on que le rendement net reste comparable \u00e0 ce qu\u2019il \u00e9tait auparavant. En r\u00e9sum\u00e9, l\u2019augmentation du co\u00fbt de la d\u00e9tention de terrains incitera les d\u00e9tenteurs \u00e0 plus de rationalit\u00e9 \u00e9conomique.
\nMais il faut tenir compte aussi des gains d\u2019efficacit\u00e9 \u00e9conomique que l\u2019on peut attendre de la r\u00e9forme, du fait que l\u2019on taxe la d\u00e9tention de la terre et non son usage\u00a0: l\u2019augmentation de la richesse nationale entra\u00eenera une augmentation de la demande qui affectera la terre comme les autres biens et services, avec une hausse des prix induite. Ce second effet devrait toutefois \u00eatre d\u2019une amplitude plus faible que le premier.
\nIl faut ajouter que la r\u00e9forme propos\u00e9e consiste aussi \u00e0 exon\u00e9rer de toute taxe le b\u00e2ti. En cons\u00e9quence, ce qui vaut pour la terre ne vaut pas forc\u00e9ment pour les logements et autres b\u00e2timents. L\u2019exon\u00e9ration devrait entra\u00eener une hausse des rendements de la partie b\u00e2tie avec comme r\u00e9percussion possible une hausse des prix dans le march\u00e9 de l\u2019ancien. Au total, l\u2019incidence sur les prix de l\u2019immobilier \u00ab\u00a0g\u00e9n\u00e9ral\u00a0\u00bb (terrain + b\u00e2ti) devrait \u00eatre tr\u00e8s mesur\u00e9e dans le cas d\u2019une taxe sur la terre \u00e0 1%.
\nEnfin, la r\u00e9forme va pousser \u00e0 \u00e9conomiser la terre, ce qui devrait favoriser les constructions plus denses. Cet effet irait dans le sens souhait\u00e9 par la loi Climat et R\u00e9silience, dont l\u2019objectif est la diminution de la consommation fonci\u00e8re par la construction. En Pennsylvanie, o\u00f9 la terre est tax\u00e9e \u00e0 un taux deux fois plus \u00e9lev\u00e9 que le b\u00e2ti, on a observ\u00e9 un mouvement assez fort de densification des locaux d\u2019activit\u00e9, qui affecte aussi, mais de fa\u00e7on moins visible, les locaux d\u2019habitation.
\nOn pourrait objecter que si le prix de la terre baisse, cela devrait, au contraire, pousser \u00e0 en consommer plus. C\u2019est en effet possible dans un troisi\u00e8me temps. Cela illustre le fait qu\u2019en l\u2019\u00e9tat actuel de la connaissance, il est difficile de pr\u00e9voir quelle sera la r\u00e9sultante de ces diff\u00e9rents effets. On peut \u00e9galement se demander si la r\u00e9forme peut affecter la cyclicit\u00e9 du march\u00e9 fran\u00e7ais, qui a jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent fait preuve d\u2019une remarquable robustesse. Des travaux de recherche \u2013 par exemple celui que j\u2019ai conduit avec Pierre-Henri Bono sur \u00a0l\u2019impact du dispositif Scellier en PACA[1]<\/a> \u2013 ont montr\u00e9 que les prix fonciers r\u00e9agissent \u00e0 la fiscalit\u00e9. C\u2019est gr\u00e2ce au d\u00e9veloppement de la recherche sur ce th\u00e8me que l\u2019on comprendra mieux les m\u00e9canismes \u00e0 l\u2019\u0153uvre.<\/p>\n
\n<\/em>Alain Trannoy
\n<\/strong>La r\u00e9forme \u00e9voqu\u00e9e dans le livre porte bien sur le remplacement de l\u2019ensemble des taxes sur l\u2019immobilier (\u00e0 l\u2019exception des pr\u00e9l\u00e8vements sociaux) par une taxe sur la terre. Nous n\u2019avons pas inclus les droits de succession dans la liste. C\u2019est un sujet de recherche sur lequel nous travaillons.
\nIl semble logique de consid\u00e9rer qu\u2019imposer la terre, chaque ann\u00e9e, pour sa d\u00e9tention, et lors de la transmission successorale fait double emploi. Pour un bien entr\u00e9 depuis 30 ans dans un patrimoine, les sommes vers\u00e9es au fisc pourraient repr\u00e9senter de l\u2019ordre d\u2019un tiers de la valeur du bien \u00e0 la succession.
\nLa taxation annuelle pourrait donc se substituer \u00e0 celle de l\u2019h\u00e9ritage. Dans le cas des propri\u00e9taires \u00e0 faible revenus \u2013 souvent illustr\u00e9 par le cas embl\u00e9matique de la \u00ab veuve de l\u2019Ile de R\u00e9 \u00bb[2]<\/a> -, le paiement annuel de l\u2019imp\u00f4t pourrait \u00eatre capitalis\u00e9 sous forme de dette dont le montant serait, au moment de la succession, pr\u00e9lev\u00e9 sur l\u2019h\u00e9ritage.
\nIl faut toutefois avoir conscience que ce moyen pour le fisc de recouvrer une dette est plut\u00f4t impopulaire.<\/p>\n
\n<\/em>Alain Trannoy
\n<\/strong>La difficult\u00e9 d\u2019\u00e9valuation se pose surtout pour la valeur de la terre sous-jacente \u00e0 une construction, notamment lorsqu\u2019il s\u2019agit d\u2019immeubles collectifs. Dans le cas de terrains nus la question est plus simple car on dispose d\u2019observations directes des prix.
\nIl existe trois types de m\u00e9thode d\u2019\u00e9valuation\u00a0:
\n– la m\u00e9thode h\u00e9donique, dans laquelle on consid\u00e8re que le prix d\u2019un bien est fonction de ses caract\u00e9ristiques, dont la superficie du sol. A partir des observations de prix disponibles, on estime une \u00e9quation \u00e9conom\u00e9trique dans laquelle l\u2019influence de chacune de ces caract\u00e9ristiques est quantifi\u00e9e. L\u2019estimation permet d\u2019obtenir une valeur du prix au m2 dans un endroit particulier. Par exemple, le gradient d\u2019accessibilit\u00e9 au centre urbain et aux biens et services est une caract\u00e9ristique fr\u00e9quemment estim\u00e9e par cette m\u00e9thode ;
\n– la m\u00e9thode r\u00e9siduelle : la valeur du terrain est \u00e9gale \u00e0 la valeur du bien, de laquelle on retranche, s\u2019il supporte un b\u00e2timent, le co\u00fbt de remplacement du b\u00e2ti (amortissement, obsolescence, etc.)[3] ;<\/a>
\n– par la fonction de production[4]<\/a> : le service de logement est fourni par trois facteurs, terre, travail et capital. \u00a0On proc\u00e8de alors \u00e0 l\u2019estimation de cette fonction de production, ce qui permet d\u2019obtenir une part de la valeur du terrain en moyenne.
\nLa mise au point d\u2019une m\u00e9thode fiable suppose des travaux de recherche pr\u00e9alables, qui devront commencer par confronter les r\u00e9sultats d\u2019\u00e9valuations effectu\u00e9es avec chacune de celles que je viens de citer.
\nIl faudra aussi tirer les le\u00e7ons des exp\u00e9riences \u00ab\u00a0en vraie grandeur\u00a0\u00bb. Je pense notamment \u00e0 celle du Luxembourg\u00a0qui va instituer une nouvelle taxe sur la valeur v\u00e9nale des terrains \u00e0 b\u00e2tir. La m\u00e9thode d\u2019\u00e9valuation consiste \u00e0 d\u00e9couper le territoire en zones de petite taille, homog\u00e8nes en termes de valeur de la terre, pour lesquelles on estime un prix au m\u00b2 de la terre par des m\u00e9thodes d\u2019\u00e9conom\u00e9trie h\u00e9donique, cela pour une ann\u00e9e de base. Pour les ann\u00e9es ult\u00e9rieures, on applique des taux d\u2019accroissement diff\u00e9renci\u00e9s. Il faut par ailleurs r\u00e9viser p\u00e9riodiquement les valeurs pour chacune des zones.
\nLe d\u00e9veloppement d\u2019un march\u00e9 des terrains faciliterait l\u2019\u00e9valuation. Un tel march\u00e9 existe en Angleterre, o\u00f9 la propri\u00e9t\u00e9 des terrains est tr\u00e8s souvent dissoci\u00e9e de celle des b\u00e2timents qu\u2019ils supportent.
\nDe fa\u00e7on g\u00e9n\u00e9rale, on peut, je crois, \u00eatre optimiste quant \u00e0 l\u2019am\u00e9lioration des outils d\u2019\u00e9valuation. Des progr\u00e8s gigantesques ont \u00e9t\u00e9 enregistr\u00e9s depuis une d\u00e9cennie et l\u2019intensit\u00e9 de la recherche sur le sujet donne \u00e0 penser qu\u2019ils vont s\u2019acc\u00e9l\u00e9rer. En France, les chercheurs peuvent d\u00e9sormais acc\u00e9der \u00e0 des bases de donn\u00e9es, notamment fiscales, riches et de bonne qualit\u00e9. Il est possible, par exemple, d\u2019appr\u00e9cier l\u2019\u00e9volution des valeurs fonci\u00e8res par la m\u00e9thode des ventes r\u00e9p\u00e9t\u00e9es\u00a0: l\u2019\u00e9volution du prix d\u2019un bien immobilier (terrain + b\u00e2ti) revendu au bout d\u2019un certain d\u00e9lai sans que le b\u00e2ti ait subi de modification notable ne peut en effet \u00eatre attribu\u00e9e qu\u2019\u00e0 la valeur du terrain.
\nL\u2019\u00e9quit\u00e9 de l\u2019imposition suppose \u00e9videmment que l\u2019administration en charge de l\u2019\u00e9valuation soit suffisamment r\u00e9active pour prendre en compte les changements dans les facteurs qui peuvent influer sur les valeurs fonci\u00e8res\u00a0: il faut donc pr\u00e9voir de r\u00e9estimer p\u00e9riodiquement, \u00e0 des intervalles pas trop \u00e9loign\u00e9s, le mod\u00e8le de base. C\u2019est une t\u00e2che qui peut sembler tr\u00e8s lourde, mais qui pourrait \u00eatre consid\u00e9rablement all\u00e9g\u00e9e par l\u2019utilisation de mod\u00e8les h\u00e9doniques ou de ventes r\u00e9p\u00e9t\u00e9es. Ce n\u2019est sans doute pas encore possible mais, comme je l\u2019ai dit, les choses \u00e9voluent \u00e0 grande vitesse et des progr\u00e8s consid\u00e9rables interviendront, j\u2019en suis convaincu, \u00e0 br\u00e8ve \u00e9ch\u00e9ance.
\nHenry George et les autres \u00e9conomistes qui pr\u00f4naient la location de la terre (celle-ci \u00e9tant propri\u00e9t\u00e9 de l\u2019Etat) ou sa taxation \u00e9taient en avance et la mise en \u0153uvre de leurs id\u00e9es s\u2019est heurt\u00e9e \u00e0 l\u2019insuffisance des outils d\u2019\u00e9valuation. Aujourd\u2019hui elle est envisageable.<\/p>\n
\n<\/em>Alain Trannoy
\n<\/strong>Oui, c\u2019est parfaitement envisageable. La r\u00e9forme que nous proposons est compatible avec les r\u00e8gles qui, dans la Constitution, encadrent les pouvoirs des collectivit\u00e9s locales par rapport \u00e0 ceux de l\u2019Etat.
\nConcernant le financement des collectivit\u00e9s locales, je ne vois que des avantages \u00e0 substituer aux imp\u00f4ts sur l\u2019immobilier qui alimentent actuellement leurs recettes tout ou partie, selon l\u2019option qui serait retenue quant au taux (1% ou 2%), de la taxe sur la terre.
\nLe syst\u00e8me actuel (la taxe fonci\u00e8re sur la propri\u00e9t\u00e9 b\u00e2tie et non b\u00e2tie et les DMTO) est instable et opaque. Le produit des DMTO est \u00e9minemment fluctuant au gr\u00e9 des cycles de l\u2019immobilier et g\u00e9ographiquement tr\u00e8s in\u00e9gal. Quant \u00e0 la taxe fonci\u00e8re, elle joue le r\u00f4le de variable d\u2019ajustement pour les finances locales\u00a0: son taux a de ce fait tr\u00e8s fortement augment\u00e9 au cours des derni\u00e8res d\u00e9cennies, \u00e0 tel point que l\u2019on peut penser que l\u2019Etat devra se r\u00e9soudre \u00e0 l\u2019encadrer.
\nDans le syst\u00e8me que nous proposons, le taux de taxation serait unique pour toute la France et toutes les cat\u00e9gories de terres, quelle que soit leur utilisation. Donc plus d\u2019arbitraire des taux, ce qui devrait en faciliter l\u2019acceptabilit\u00e9. Le montant de l\u2019imp\u00f4t \u00e9voluerait, certes, de fa\u00e7on diff\u00e9renci\u00e9e selon la localisation. Mais son augmentation serait la traduction d\u2019une am\u00e9lioration des conditions locales (am\u00e9nit\u00e9s, am\u00e9lioration du cadre de vie, de la qualit\u00e9 de l\u2019environnement…). A cet \u00e9gard, l\u2019\u00e9volution des valeurs fonci\u00e8res serait un bon thermom\u00e8tre de l\u2019\u00e9volution des quartiers. Cette lisibilit\u00e9 serait sans nul doute appr\u00e9ci\u00e9e des investisseurs, qui n\u2019auraient ainsi pas \u00e0 redouter les \u00ab\u00a0mauvaises surprises\u00a0\u00bb li\u00e9es \u00e0 une possible augmentation de la pression fiscale.
\nLa n\u00e9cessaire p\u00e9r\u00e9quation horizontale, fond\u00e9e sur des bases enfin solides, permettrait une r\u00e9partition \u00e9quitable du produit de l\u2019imp\u00f4t. C\u2019est un point auquel les Fran\u00e7ais sont sensibles. Enfin, la stabilit\u00e9 de la ressource et l\u2019absence de variable d\u2019ajustement inciterait les collectivit\u00e9s locales \u00e0 la sagesse dans la gestion de leurs finances.<\/p>\n
\n<\/em>Alain Trannoy
\n<\/strong>Nous rappelons effectivement dans notre livre que l\u2019id\u00e9e de la propri\u00e9t\u00e9 publique de la terre ou d\u2019une taxation de celle-ci n\u2019est pas nouvelle. Elle na\u00eet au XVIIIe<\/sup> si\u00e8cle avec les physiocrates et sera reprise notamment au XIXe<\/sup> par Henry George aux Etats-Unis, puis par Auguste et L\u00e9on Walras au XXe<\/sup>.
\nAuguste, puis L\u00e9on Walras militent pour la propri\u00e9t\u00e9 publique de la terre, qui serait lou\u00e9e pour ses diff\u00e9rentes utilisations. Pour Henry George, dont les id\u00e9es ont eu une influence certaine aux Etats-Unis et dans certains pays de culture anglo-saxonne, la terre doit rester propri\u00e9t\u00e9 priv\u00e9e mais \u00eatre tax\u00e9e par l\u2019Etat.
\nAujourd\u2019hui, le seul pays o\u00f9 l\u2019Etat est propri\u00e9taire de la terre est celui de Singapour (6 millions d\u2019habitants)\u00a0: il d\u00e9tient 90% des terres, qu\u2019il loue, et per\u00e7oit des loyers. Une telle option, mise en place dans des circonstances historiques particuli\u00e8res et dans un pays de petite taille, est \u00e9videmment inenvisageable dans un Etat comme la France o\u00f9 elle se heurterait au droit de propri\u00e9t\u00e9 et aurait un co\u00fbt hors de port\u00e9e des moyens de l\u2019Etat.
\nReste donc la taxe, mais quelle que soit l\u2019option choisie, les fondements \u00e9conomiques sont identiques. La terre n\u2019est pas un bien produit, il ne devrait appartenir \u00e0 personne. Personne n\u2019a eu d\u2019effort \u00e0 faire pour produire la terre, si l\u2019on excepte les cas de \u00ab\u00a0production \u00bb de terre \u00e0 Monaco, aux Pays-Bas ou Tokyo. C\u2019est pourquoi une partie des fruits devrait revenir \u00e0 la collectivit\u00e9.
\nL\u2019analyse \u00e9conomique classique distingue trois types de facteurs de production\u00a0: la terre, le capital et le travail. Les taxes sur les revenus du travail et du capital sont \u00e9lev\u00e9es en France (30 \u00e0 50%). Les revenus de la terre sont beaucoup moins tax\u00e9s (entre 1\/6 et 1\/7), alors que c\u2019est le facteur pour lequel la justification \u00e9conomique de la taxation est la plus \u00e9vidente. La France fonctionne comme un pays rentier o\u00f9 l\u2019on investit dans la terre, ce qui nous \u00e9carte de l\u2019efficacit\u00e9 \u00e9conomique. C\u2019est la question fondamentale que pose le livre. Elle prend en France une acuit\u00e9 particuli\u00e8re car notre pays figure aux premiers rangs dans le monde en termes de fortune fonci\u00e8re rapport\u00e9e au pouvoir d\u2019achat, et m\u00eame pour la fortune financi\u00e8re par t\u00eate tout court.<\/p>\n
\n<\/strong>Juin 2022<\/strong><\/p>\n
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